
La Fontaine Sombron restaurée, juin 2018 (photo Fondation du Patrimoine)
Champs-sur-Yonne n’est pas la source géographique de la famille Binoche, mais il existe là une fontaine qu’Adolphe Binoche a fait construire autour des années 1890. Tombée dans l’oubli au fil des propriétaires successifs de la propriété vendue au décès d’Adolphe, elle a été redécouverte en 2008, alors qu’envahie par le lierre, elle menaçait d’effondrement. Cédée à la ville, elle fait désormais l’objet d’une restauration exemplaire. Une première présentation publique de la fontaine en cours de rénovation a eu lieu le 1er juillet 2017 en présence de descendants Binoche (voir le résumé vidéo de cette journée ici et le reportage quasi-intégral d’Auxerre TV là) et officiellement inaugurée le 16 juin 2018.
La Fontaine Sombron, du nom du ru qui traverse le village, en partie en sous-sol (et qui pourrait n’être qu’une résurgence d’un bras de l’Yonne toute proche), est un petit château d’eau privé, se présentant sous la forme d’un « baldaquin », construit à la fin du 19e siècle sur la propriété d’Adolphe Binoche.
En 1812, le Sombron circule à l’air libre. Le plan cadastral dressé en avril de cette année-là témoigne de l’existence d’une fontaine (1), propriété de la commune de Champs. Une voie partant de l’église (2) permet à tous les habitants d’y accéder librement. À l’époque, Jean Baptiste Binoche, le maitre chirurgien, habite dans une maison (3) de la rue qui mène de l’église au moulin et possède un jardin (4) le long du Sombron. La propriété (5) que Jean Baptiste, fils du chirurgien et marchand de nouveautés, rachètera en 1818 appartient alors à Pierre-René Lefèvre, un horloger parisien. Adolphe en héritera en 1871 et fera construire sa propre fontaine dans le fond de la propriété (ou recouvrira l’ancienne par le monument que l’on connait, le doute subsiste).
Lorsque l’Office HLM d’Auxerre fait en 2008 l’acquisition de la propriété ayant appartenu aux Binoche jusqu’en 1911, il ne sait trop que faire de cet édifice menacé d’effondrement et cède la parcelle sur laquelle il est construit à la ville de Champs pour l’euro symbolique. Pour la plupart des habitants, cette fontaine est un mystère. Au terme d’un débat nourri, le conseil municipal du 24 juillet 2008, sous la conduite du maire de l’époque Patrick Vaucouleur, décide d’étayer le bâtiment pour éviter son effondrement, pressentant son intérêt patrimonial et touristique, avec l’église toute proche. L’association « Les Amis de la Fontaine Sombron » réunissant quelques habitants passionnés de l’histoire de la commune, a multiplié les initiatives pour trouver les financements et rechercher les éléments historiques. Le 29 février 2016, le conseil municipal avec le nouveau maire Stéphane Antunes, décide de lancer les travaux de restauration.
Toutes les interrogations n’ont pas encore trouvé de réponse. Ni la date exacte de sa construction (on imagine plaisamment que la fontaine a été construite « pour les plaisirs horticoles d’Ursula, l’épouse d’Adolphe » et en même temps certains estiment la date de la construction de la fontaine autour de 1900, mais Ursula est décédée en 1895). On n’a pas non plus retrouvé de plan du monument, alors qu’il a fait l’objet d’une sculpture très soignée et d’une réflexion approfondie de ses concepteurs – ou d’une demande précisément exprimée du donneur d’ordre, Adolphe Binoche : ainsi les différents motifs décoratifs évoquent des thèmes en liaison avec l’orientation géographique. La vigne vers Saint-Bris-le-Vineux et ses vignobles ; les poissons et écrevisses sur la façade orientée vers l’Yonne ; sur les deux autres pans, les fruits (côté verger) et les moissons. On ignore également à quelle fin a été conçu l’édicule, agrément, arrosage du jardin, alimentation en eau domestique (l’eau courante ne sera installée dans les maisons du village que dans les années 40) ? De même on s’interroge sur la part qu’aurait pu prendre dans sa réalisation Auguste Tronquois, l’architecte auquel Adolphe avait confié la réalisation de son hôtel particulier 65 rue du Rocher à Paris.
Les occupants qui ont succédé à Adolphe ont rajouté sur le monument une cuve en acier, qui a pesé sur les pierres jusqu’à fragiliser tout l’ensemble. Certains habitants racontent que pendant la dernière guerre, un homme soupçonné de collaboration s’y était réfugié et a été abattu d’un coup de fusil, des traces de sang ayant même été retrouvées lors de la restauration du bâtiment. Mais en dehors de quelques rares habitants ayant grandi dans le voisinage, la fontaine, envahie par la végétation et menacée d’écroulement, était tombée dans l’oubli jusqu’à ce que l’Office HLM ne cède cette partie de terrain à la ville pour l’euro symbolique. Après la phase d’étonnement, la municipalité de Patrick Vaucouleur, relayée maintenant par celle de Stéphane Antunes, a mesuré tout l’intérêt que cette étonnante et rare fontaine représentait pour le village.
La réunion organisée le 1er juillet 2017 sous l’impulsion passionnée du premier adjoint Bernard Maimbourg a été l’occasion d’une visite du chantier déjà largement avancé. Alors qu’au début de l’année toutes les pierres avaient été numérotées et déposées pour évaluer leur état, en ce début d’été la fontaine a repris toute son élégante apparence, telle qu’en ses premières années. Et si l’architecte s’étonne du plan « en trapèze » adopté par les maçons qui ont élevé l’édifice à l’origine, le tailleur de pierres, Cyril Thieuleux, comme son collègue sculpteur, Alexandre Vullien, installé dans le village voisin d’Irancy, parlent avec émotion de cette rénovation qui leur a été confiée, ne cachant par leur admiration pour leurs prédécesseurs.
Les pierres utilisées à l’origine étaient extraites de la carrière de Charentenay. Celle-ci a été fermée en 2007 et les bâtisseurs de 2017 ont dû s’approvisionner dans la Vienne pour retrouver une pierre aux caractéristiques équivalentes. La pierre de Charentenay avait été présentée lors de l’exposition universelle de Paris en 1865 – une date en pleine période des grands travaux d’aménagement de la ville de Paris menés par le préfet Haussmann. On peut d’ailleurs légitimement se demander si Adolphe Binoche, quand il a fait construire son hôtel particulier du 65 rue du Rocher à Paris, n’a pas choisi cette pierre de son pays natal.
Restait en ce début d’été à compléter l’entablement et les corniches, à achever les jointoiements et à couvrir l’ensemble par un toit en plomb reposant sur une charpente, protégeant de nouveau pour des décennies l’étonnant édicule imaginé par Adolphe Binoche.
Les pierres nouvelles seront patinées pour offrir un ensemble harmonieux. Autour de lui, un jardin ouvert au public rappellera peu ou prou ce qu’étaient les lieux il y a 120 ou 130 ans. Avec la restauration de la Fontaine Sombron, c’est aussi la mémoire des Binoche qui est ravivée à Champs-sur-Yonne. Une vingtaine de descendants d’Adolphe et Félix Binoche (son frère), ont participé pour cette raison à la manifestation du 1er juillet 2017, abondamment arrosée (par la pluie !), comme il se doit pour la renaissance d’une telle fontaine.
La fontaine Sombron en mai 2019 (photos Eric Boulte)
93 donateurs ont participé au financement de cette rénovation pour un montant de 8 508 euros, abondés à hauteur de 10 000 euros par la Fondation du Patrimoine.

Le monogramme AB au-dessus de la porte cochère du 65 rue du Rocher à Paris
Ci-dessus, série de photos prises le 1er juillet 2017, lors de la journée consacrée à la fontaine Sombron et la famille Binoche. La rénovation n’est pas terminée mais on peut déjà apprécier la finesse des motifs sculptés, qui ne doivent rien au hasard. Côté est (celui des vignobles), la pierre sculptée centrale de l’arc représente des raisins ; côté ouest (vers l’Yonne), des poissons, sur les autres faces, moissons, et légumes et fruits. Les pierres au pied des pilastres, au-dessus des piliers de soutènement, présentent un dessin dont le contour n’est pas sans rappeler le monogramme qui orne le portail du 65 rue du Rocher à Paris (ci-contre).

Robinet retrouvé en 2017 dans le terrain d’Adolphe Binoche, servant à l’arrosage du jardin à partir de la fontaine Sombron
Association : LES AMIS DE LA FONTAINE SOMBRON.
Objet : restaurer et mettre en valeur le site et les installations hydrauliques de la fontaine Sombron à Champs sur Yonne.
Siège social : Mairie, place Binoche, 89290 Champs-sur-Yonne.
Courriel : mairie.champssuryonne@wanadoo.fr
Date de la déclaration : 9 septembre 2008.
Article et vidéos du 1er juillet 2017
Résumé vidéo de la journée du 1er juillet 2017 (12 mn, cliquer sur l’image ci-dessus pour visionner)
Cliquer sur l’image pour lire l’article paru le 10 juillet 2017 dans l’Yonne Républicaine