Jean, l’ambassadeur

Adolphe et sa famille sont rentrés du Brésil au printemps 1863 pour s’installer à Paris. Au moment de la guerre de 1870, Adolphe, Ursula et leurs six enfants vivants se réfugient en Angleterre où Adolphe a des relations d’affaires [1]. Leur dixième enfant verra le jour à Paris, doté d’un prénom anglais, James. Le fils de celui-ci, Jean André, deviendra ambassadeur de France au Brésil.

James vivra en France. Industriel (lire Riche comme JOB), il déclare le 22 août 1903 à la mairie du 12e arrondissement la naissance de son fils Jean André survenue trois jours auparavant, « de mère non dénommée ». Cette mère n’est autre que Jeanne Barret, tout juste divorcée le 7 mars 1903 de Prosper Hemet (né en 1869, pharmacien à Alger) avec lequel elle s’était mariée en août 1894. La reconnaissance officielle de l’enfant est enregistrée le 23 juin 1906, avant le mariage du couple célébré le 11 juillet suivant. Jean André en sera l’unique enfant.

Licencié en  Droit et diplômé de l’école des sciences morales et politiques, son début de carrière a pu être retracé par différentes archives.  Le 9 novembre 1934, notre homme est nommé « attaché au cabinet du président du Conseil ». Gaston Doumergue vient de démissionner, remplacé par Pierre-Etienne Flandin. Le 21 décembre suivant, il est nommé rédacteur stagiaire à l’administration centrale des finances puis Pierre-Etienne Flandin, devenu ministre des Affaires étrangères en février 1936, l’appelle comme chef adjoint de son cabinet.

Binoche Jean Lafforgue Odette

Odette et Jean Binoche à Oslo, où Jean était ambassadeur de 1957 à 1961

Il est ensuite nommé sous-directeur de la représentation du Maroc à Paris (c’est avant l’indépendance des colonies du Maghreb). En 1942, il est secrétaire général du gouvernement tunisien. Engagé volontaire en septembre 1943 dans les forces armées françaises, il sera ensuite nommé secrétaire de la délégation de la France au Levant avec rang de préfet. En poste successivement à Beyrouth, à Paris pour les affaires africaines puis du Moyen-Orient. Marié le 5 janvier 1952 avec Odette Lafforgue à Paris 16e (dont il adoptera les deux filles), il accède alors au rang d’ambassadeur, avec un premier poste à Lima (Pérou) de 1952 à 1955, puis après un temps à l’administration centrale (il est fait officier de la Légion d’honneur promotion juillet 1957 sur le contingent du ministère des Affaires étrangères), repart en Norvège de 1957 à 1961 et en Yougoslavie de 1962 à 1965.

Par décret du 3 novembre 1965 « portant nomination d’un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République française au Brésil », Jean Binoche prend ses fonctions dans le pays où son grand-père avait développé ses affaires. Le Quai d’Orsay « définit comme priorité pour son nouvel ambassadeur au Brésil, de faire aboutir les négociations relatives à la signature d’un accord de coopération scientifique et technique entre les deux pays[2] ». Un accord particulièrement important pour les Français qui souhaitent lever les obstacles fiscaux et douaniers les empêchant de faire entrer dans le pays experts et matériels. A l’époque, les exportations à destination du Brésil diminuent sensiblement alors que les importations restent stables.

C’est à l’occasion de sa nomination que le journal O Globo, s’appuyant sur les travaux du généalogiste  brésilien  Carlos Rheingantz, publie un article dans son édition du 23 décembre 1965 où est indiquée la filiation de Jean Binoche avec Ursula, et aussi de celle-ci avec Botafogo, fondateur de Rio.

Une anecdote circule dans la famille, sans qu’on puisse l’authentifier. En 1863, Adolphe venait de perdre son fils troisième né, sa femme attendait un quatrième enfant et Rio se débattait contre une épidémie de fièvre jaune. Il aurait alors précipité son départ, en abandonnant sans même les vendre des terrains qu’il possédait à Copacabana. Des terrains encore à l’abandon, mais situés à proximité du centre de Rio, fatalement destinés à prendre une valeur considérable. Des particuliers, voire l’Etat lui-même met la main sur ces friches prometteuses. Lorsque Jean Binoche est nommé à Rio, les journaux locaux soulignent avec fierté les origines brésiliennes du nouvel ambassadeur de France, pendant que les autorités brésiliennes opèrent une démarche aussi discrète qu’inhabituelle : ils auraient dépêché  un émissaire du gouvernement auprès de Jean Binoche, pour s’assurer qu’il n’entrait pas dans les intentions du nouvel ambassadeur de revendiquer les terrains abandonnés par Adolphe.

De son côté Pierre Louvet, arrière-petit-fils d’Adolphe Binoche, raconte dans un courrier qu’il envoie fin 1998 à Geneviève Binoche, petite-fille de Pierre – le dernier-né d’Adolphe : « Arrivés en poste au Brésil, les Jean Binoche ont décidé de réunir tous les descendants locaux apparentés à UrsulaIl y en avait, parait-il, de tous les genres: commerçants, administrateurs de sociétés, professions libérales, mais également un joueur de banjo et un professeur de plongée sous-marine (pourquoi pas ?). Il y avait, parait-il, une nette méfiance ou réticence de leur part au début des premiers contacts. Les choses se sont tassées par la suite quand la famille brésilienne a pris conscience que la famille française ne nourrissait aucune pensée de revendiquer quoi que ce soit ». Une autre descendante d’Adolphe Binoche avait déjà vécu le même scénario quelques années plus tôt…

Décidément, entre l’héritage des parents d’Ursula et les terrains de Copacabana, la famille Binoche aura valu quelques nuits sans sommeil à quelques Brésiliens. Mais qu’ils se rassurent, plus personne aujourd’hui ne revendique quoi que ce soit – sinon une fraternelle cousinade transcontinentale, pourquoi pas !

Jean Binoche restera en poste au Brésil jusqu’à la fin août 1968, il semble que ce poste ait été le dernier de sa carrière.

Il meurt à Neuilly  le 3 juillet 2007 à quelques jours de son 104e anniversaire.


[1] Source : document de Bernard Binoche

[2] Source : Thèse de doctorat d’histoire contemporaine soutenue à l’Université de Strasbourg par Marcio Rodrigues Pereira le 4 juin 2014 « La politique culturelle française au Brésil de 1945 à 1970 », avec une dizaine de références à l’action de Jean Binoche en faveur du développement économique de la France au Brésil.

Lire aussi (en portugais) la biographie publiée par le CPDOC (O Centro de Pesquisa e Documentação de HistóriaContemporânea do Brasil)

2 commentaires pour Jean, l’ambassadeur

  1. Jean-Michel Galland dit :

    Bonjour, et pour compléter, je vous annonce la naissance de son arrière petite fille, Charlie, née exactement le même jour que Jean Binoche le 19-08-2017. Amitié, Jean-Michel Galland

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